Couverture de la nouvelle version de Le Hobbit de J.R.R. Tolkien, traduit par Daniel LauzonEvaluation 7/10 pour Le Bouquin de Firmin

Quelle curieuse expérience de relire en 2015 les aventures de Bilbo Bessac, un hobbit de La Colline, rendant une visite de courtoisie à Smaug Le Dragon en passant par Fendeval, la forêt de Grand’Peur et le Bourg-du-Lac ! Depuis la publication en 1937 du Hobbit de J.R.R. Tolkien, Peter Jackson est passé par là, popularisant davantage (s’il était encore possible) les aventures de Bilbon Sacquet de La Comté, pourfendant dragons, orcs et gobelins en passant par Fondcombe, la Forêt Noire et Lacville ! Ces petites surprises dans la traduction française ne sont pas du fait de Peter Jackson : ce dernier s’est calqué sur la traduction officielle de de Francis Ledoux datant de 1969. Depuis 2012 pourtant, c’est bien la nouvelle traduction de Daniel Lauzon que vous trouverez en librairie avec donc comme personnage principal un Bilbo Bessac fraîchement renommé. Si cette nouvelle traduction peut paraître surprenante, elle est globalement encensée par les puristes, étant jugée plus proche de la version anglaise originale.

Lire Le Hobbit en 2015, outre la nouvelle traduction, c’est donc redécouvrir les aventures extraordinaires de ce sympathique bout d’homme qui s’en va défier un dragon en compagnie de 13 nains et d’un magicien, sans l’aide de Tauriel, de Legolas ou de Galadriel, sans même les pitreries d’Alfrid et surtout sans être impitoyablement poursuivi par Azog le Profanateur ou Sauron le Nécromancien. Peter Jackson a largement étoffé le récit original de personnages secondaires (qui en viennent à voler la vedette à Bilbo lui-même) et d’intrigues parallèles souvent à peine évoquées dans le livre. Est-ce un bien ou un mal ? Là n’est pas le but de cet article. Par contre, cela renforce le côté enfantin du bouquin de J.R.R. Tolkien.

Le Hobbit a été écrit par l’écrivain britannique afin qu’il serve de livre de chevet pour ses jeunes enfants et est par conséquent un livre très éloigné de la rigueur, de la complexité et de la finesse de son successeur : Le Seigneur des Anneaux. Bilbo s’en va donc cambrioler une montagne au nez et à la barbe d’un dragon, accompagné d’assez joyeux drilles finalement : une bande de nains chanteurs qui va croiser la route d’elfes tout aussi fredonnants… même les vilains gobelins et les trolls très moches voudront découper en rondelles toute la troupe en poussant la chansonnette ! Tolkien s’adresse vraiment à ses lecteurs comme à ses enfants, rythmant donc son récit de chants et d’énigmes et en ne s’éternisant pas sur les scènes trop violentes. Une grande bataille peut par exemple se résumer en quelques phrases, annoncées par un apaisant « Vous vous en doutez, Bilbo s’en est très bien sorti, voici comment… ».

Ce qui est fascinant dans le monde inventé par Tolkien, c’est sa complexité, le fait d’avoir poussé le détail de chaque lignée, de chaque contrée… Chaque événement se positionne dans un contexte fouillé, il a poussé le vice jusqu’à imaginer avec précision la genèse du monde (Le Silmarillion) pendant qu’il inventait (de façon complète) diverses langues elfiques. La simplicité enfantine du Hobbit décontenance donc un peu, mais ce livre reste un jalon incontournable qui esquisse les contours d’un univers mythique et contenant d’ailleurs un élément fondamental : la rencontre avec Gollum et son trésor (pas question de « précieux » dans cette traduction), l’Anneau Unique.

[Complément d’enquête du 26/02/2015]

Bannière de présentation du livre Lire J.R.R. Tolkien par Vincent Ferré

Pour ceux qui veulent approfondir cette histoire de nouvelle traduction, je vous invite à lire cette interview très intéressante de Vincent Ferré pour Télérama. L’article fait référence à la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, dont le premier tome est paru en 2014, signée également (et logiquement) par Daniel Lauzon. Vincent Ferré y explique le but de cette nouvelle traduction, sa nécessité et ses particularités. On y apprend en détail l’explication du changement « Forêt Noire » en « Forêt de Grand’Peur » , mais aussi l’existence d’un « Guide des noms du Seigneur des Anneaux » , que ne connaissait manifestement pas le premier traducteur Francis Ledoux. J.R.R. Tolkien, en linguiste expérimenté, avait effectivement tout prévu, jusqu’à la traduction des noms et des lieux présents dans son oeuvre dans les différentes langues. Sans imposer une traduction précise (preuve s’il en est de son intelligence), Tolkien propose aux futurs traducteurs des pistes pour adapter au mieux ses livres.

Les nouvelles traductions sont clairement positives : plus respectueuses de l’oeuvre de Tolkien, elles prennent en compte tous les éléments disponibles depuis 1969 (grâce notamment au travail du fils de Tolkien) tout en corrigeant les quelques coquilles et incohérences de Francis Ledoux (le « departure » d’Elrond ou l’incursion d’éléments de notre monde (« file indienne ») par exemple). Daniel Lauzon a particulièrement excellé dans la nouvelle traduction des poèmes et chants, plus proches de l’harmonie des originaux : une très bonne chose lorsqu’on se remet en tête que J.R.R. Tolkien était avant tout un poète !