Je ne suis pas vraiment ressorti indemne de ma lecture du roman graphique Ces Jours qui disparaissent de Timothé Le Boucher. Pour tout dire, quelques pages avant la fin, j’étais en larme et j’ai dû faire une pause de quelques heures pour me redonner bonne figure. Il faut dire que Timothé Le Boucher touche à certains thèmes qui me touchent particulièrement, comme la notion d’oubli ou celle des sentiments qui traversent le temps.
Le postulat de départ est assez simple, même s’il est résolument fantastique : Lubin Maréchal, héros du bouquin, se réveille un jour sans avoir vécu le jour précédent. En tout cas, il n’en a aucun souvenir et pourtant, une version de lui-même a bien vécu dans son corps la veille. Ces absences vont se répéter de façon cyclique et il ne vivra plus qu’un jour sur deux, pendant que son alter ego se créera donc une vie parallèle : ils devront partager le même corps, mais aussi le même appartement ou les mêmes amis, même si pour ce point, cela coince très rapidement. En effet, les deux Lubin ont un caractère différent voire opposé et la confrontation de leur deux visions de la vie apporte beaucoup à la singularité du roman.
Timothé Le Boucher a cédé à une facilité qui peut être discutable : il a fait de Lubin 1 le centre de son bouquin et ce dernier a une personnalité extrêmement identifiable pour un lecteur de ce type de bande dessinée. En effet, il me semble que ceux qui s’intéresseront à Ces Jours qui disparaissent auront une sensibilité plutôt artistique, une tendance à se reconnaître facilement dans le Lubin 1, pendant que le Lubin 2, plus froid, pragmatique et entrepreneur, apparaît comme un ennemi naturel à propos duquel le lecteur lui-même fera un rejet. Par conséquent, l’évolution du roman qui, spoiler, tend à faire progressivement disparaître la personnalité du Lubin 1, amène à un bouleversement émotionnel progressif du lecteur. Ça me semble être un peu une facilité… et en même temps, c’est aussi la grande puissance du roman. Attention que cela vire un petit peu à la caricature, même si c’est assez accessoire dans l’intrigue : Lubin 1 est par moment traité comme un assisté complet pendant que Lubin 2 se développe tel un nouveau Steve Jobs, mouais.
J’ai aimé la façon dont est traitée la révélation fantastique du début de livre : plutôt que de directement en faire un fait grave et médical, les 2 Lubin vont assez vite accepter la cohabitation. Ce n’est peut-être pas très réaliste, mais ça permet de se concentrer sur des éléments beaucoup plus intéressants.
J’ai aimé le traitement des personnages secondaires qui ont chacun leur façon d’appréhender les événements. Chaque personnage a ses particularités et est, pourtant très rapidement, bien esquissé. Accessoirement, j’ai aimé aussi le fait que des relations homosexuelles, de longs célibats ou des trouples (voire même des femmes à barbe) soient présentes dans le background des personnages secondaires sans que ça ne soit pointé du doigt dans l’intrigue.
J’ai aimé la confrontation inédite (puisque fantastique) de 2 personnalités dans un même corps. Comment partager son corps avec quelqu’un qui n’a pas le même régime alimentaire que soi ? Pas la même hygiène de vie ? Pas le même métier ? In fine, le postulat fantastique n’est ici qu’un prétexte pour mettre en image une métaphore de nos propres personnalités, qui peuvent être doubles, tiraillées entre un comportement (stable, raisonné) et un autre (joueur, artiste). Le fait que Timothé Le Boucher n’a jamais cherché à montrer réellement le point de vue de Lubin 2 est également une bonne idée scénaristique, surtout que plutôt que de me faire embrasser complètement le vision de Lubin 1, cela m’a plutôt poussé à avoir par défaut de la sympathie pour le Lubin 2, qu’on ne connaît pas, mais qui a certainement de bons arguments à développer. Les développer réellement aurait peut-être un peu cassé le mythe.
Et j’ai évidemment aimé les multiples rebondissements de cette histoire passionnante, son évolution dans le temps, que ce soit la relation avec Tamara ou la relation avec son double, par exemple.
J’ai difficile à trouver davantage de mots pour vous présenter ce bouquin : je pense que Ces Jours qui disparaissent est un livre qui se ressent avant tout, 190 pages que l’on consomme avec avidité, cela se lit vite, et l’on en ressort sur les genoux.
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